Prémonition de la guerre civile



L’ancêtre direct de ce tableau est certainement une toile de Goya, le Colosse, peint vers 1812, qui montre un immense paysage peuplé de gens et d’animaux en fuite dans toutes les directions, épouvantés par l’apparition d’un géant qui brandit les poings vers le ciel. Dali avait très certainement fait la connaissance de Goya, car il est exposé au musée du Prado à Madrid, durant ses années d’étudiants. La guerre civile n’était pas un phénomène nouveau en Espagne surtout au XXe siècle, donc le fait que Dali ait prétendu avoir la prémonition quand il peignit ce tableau six mois avant le conflit n’avait pas un très grande valeur en tant que pressentiment. Mais cette scène n’en reste pas moins saisissant, avec son point de vue situé très bas laissant une créature difforme et maléfique nous surplomber, situation qui permit aussi à Dali d’imaginer un des ciels les plus beaux et les plus immenses jamais vu en peinture. Dans La Vie secrète de Salvador Dali, le peintre a écrit au sujet de cette œuvre : « Je peignis un tableau (…) où je représentais un grand grouillant de bras et de jambes s’étranglant mutuellement dans le délire. La structure molle de cette énorme masse de chair dans la guerre civile, je l’ai garnie de haricots bouillis, parce qu’on ne peut s’imaginer avalant toute cette viande insensible sans l’accompagnement même banal de quelque légume mélancolique et farineux. » Dali a aussi agrémenté le repas avec le résultat de la consommation d’une grande quantité de haricots secs, c'est à dire un énorme boudin d'excréments se moulant sur la cuisse de sa créature, à droite. L'utilisation des transformations est très réussie dans ce tableau : le téton est pincé par une main unie d'un bras rejoint par un autre bras qui devient une cuisse puis une fesse supportant un pied qui finalement redevient un bras. L'étude attentive des similitudes des choses permet au peintre d'imaginer de faciles transitions anatomiques.